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Pour quoi faire une recension ?
L’objectif est d’examiner les décisions de justice rendues en matière disciplinaire dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles commises dans les établissements d’enseignement supérieur
Cet examen permet de :
- Évaluer les décisions rendues par les sections disciplinaires lorsque des recours sont formés soit par la présidence de l’établissement d’enseignement supérieur ou le Ministère, soit par le mis en cause ;
- Repérer les personnes concernées par ce contentieux et dans quelle proportion ;
- Relever les types de sanctions prononcées en fonction des violences dénoncées et selon les statuts des mis en cause ;
- Observer si les décisions ont tendance à être alourdies ou diminuées au fil de la procédure ;
- S’imprégner des motivations adoptées pour certaines décisions afin d’aider à rédiger des décisions disciplinaires.
Conception de la recension
Nous avons peu accès aux décisions des sections disciplinaires des établissements qui prononcent une sanction contre des membres du corps enseignant ou contre des étudiants. Ces dernières ne sont pas publiques et sont, au mieux, affichées pendant un temps dans les établissements, de manière anonymisée.
En revanche, nous avons accès à l’ensemble des décisions rendues par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER*) lorsqu’il statue comme juge d’appel en matière disciplinaire[1] ; et aux décisions du Conseil d’État lorsqu’il est saisi d’un pourvoi contre les décisions rendues par le CNESER.
Le Conseil d’État est la plus haute juridiction dans le contentieux administratif. Il statue pour dire si le droit a été correctement appliqué par les juges qui sont intervenus avant lui.
Nous avons opté pour une présentation de l’ensemble par ordre antéchronologique avec un recensement par mots clés.
Pour chaque décision, vous trouverez dans cet ordre : l’établissement d’enseignement concerné, le statut du mis en cause, le statut de la ou des victimes, la ou les qualifications juridiques des faits étant ou pouvant être retenues, la sanction prononcée par la section, celle prononcée par le CNESER quand elle diffère et cas moins fréquent, s’il s’agit d’une saisine directe du CNESER, d’une demande de sursis à exécution et, quand il a statué, l’orientation de la décision du Conseil d’État.
Lorsque la décision s’y prête, nous proposons un commentaire sur l’intérêt de la décision puis une chronologie de la procédure qui s’est déroulée ainsi que les faits reprochés (souvent peu détaillés dans les décisions) et enfin un extrait de la motivation des décisions rendues.
Le contentieux présenté ici concerne autant les étudiants que le personnel enseignant sanctionné. Mais à compter de 2024, vous constaterez que les décisions rendues ne concernent quasiment plus les étudiants mis en cause.
En effet, la réforme souhaitée avec la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 est entrée en vigueur avec le décret du 5 septembre 2023. Cette réforme a transféré au tribunal administratif la compétence de juge d’appel des décisions des sections disciplinaires prises à l’égard des étudiant·es. Un peu plus d’un an après ce changement important et au vu des délais de traitement devant la justice administrative, il est encore trop tôt pour savoir comment les tribunaux administratifs vont s’emparer de ce contentieux.
Il est également important de souligner que depuis septembre 2023, toujours en application de ce décret, les audiences devant le CNESER sont présidées par un conseiller d’État[2], ce qui fait évoluer la rédaction et la motivation des décisions.
Nous avons répertorié les décisions, nombreuses, rendues sur des demandes de sursis à exécution[3], seulement si elles présentent un intérêt singulier. Cette demande consiste pour une personne sanctionnée par une section disciplinaire à demander en ‘urgence’ que l’exécution de la sanction soit suspendue par le CNESER, lorsqu’il existe des moyens sérieux qui permettraient de faire annuler ou modifier la décision de sanction. Lorsque ces sursis sont accordés, ils sont souvent liés à un vice de procédure commis par la section disciplinaire et cette demande est effectuée en même temps que la déclaration d’appel de la sanction, par une requête distincte.
Si le sursis est prononcé, la personne sanctionnée est rétablie dans sa situation de départ (reprise des cours pour un étudiant, réintégration dans son poste pour un professeur, etc.) jusqu’à ce que le CNESER ait statué sur le fond de l’affaire en appel.
Nous n’avons pas traité les nombreuses décisions qui concernent des demandes de dépaysement des procédures dans un autre établissement. En rendre compte serait pourtant intéressant tant elles révèlent le climat délétère qui règne au sein d’un certain nombre d’équipes universitaires. En effet, le CNESER est contraint de prononcer beaucoup de dépaysement vers d’autres universités afin de préserver l’impartialité des sections disciplinaires soumise à l’entre-soi au sein de l’université.
Synthèse analytique de la recension
Pour la période allant de janvier 2020 à octobre 2024, nous faisons état des 46 décisions sur le fond rendues par le CNESER en matière de VSS (qui intègrent les violences dites conjugales) et avons sélectionné 4 décisions du CNESER concernant des demandes de sursis à exécution.
Sont également exposées 10 affaires devant le Conseil d’État, dont 9 sur 10 sont des censures des décisions du CNESER. Il est important de souligner que 9 recours sur les 10 devant le Conseil d’État concernent des enseignants-chercheurs ou enseignants, et dans un seul cas, un étudiant.
Cela s’explique d’une part parce que les moyens financiers des enseignants sont supérieurs pour engager ce type de recours juridique onéreux ; d’autre part, les établissements d’enseignement supérieur sont contraints de réaliser des recours pour faire face au taux de relaxe ou à la faiblesse des sanctions prises par le CNESER contre le corps enseignant. Alors que pour les étudiants, les sanctions sont globalement confirmées par le CNESER ou même aggravées.
Parmi les 46 décisions du CNESER sur le fond du dossier, 38 sont des décisions définitives (réexamen par le CNESER après censure du Conseil d’État ou n’ayant pas fait l’objet d’un pourvoi devant la haute juridiction).
Sur ces 38 décisions définitives du CNESER, 26 concernent des étudiants mis en cause pour des faits relevant de violences sexistes et sexuelles et 12 concernent le corps enseignant (dont 5 professeurs des universités, 3 maîtres de conférences et 4 professeurs relevant d’autres statuts).
Il ressort du corpus étudié plusieurs constats, déjà soulevés par d’autres études telles que celle menée par AEF info sur les décisions rendues par le CNESER entre 2009 et 2022[4] :
- C’est un contentieux long : deux à quatre ans de délai sont nécessaires entre une décision de section disciplinaire et l’appel devant le CNESER puis à nouveau deux ans en moyenne entre la décision du CNESER et celle du Conseil d’État lorsqu’il est saisi d’un pourvoi. Ces procédures longues expliquent en partie que les victimes, dont une écrasante majorité sont des femmes, ne viennent pas témoigner devant la commission d’instruction ou à l’audience du CNESER. Or ce dernier semble apprécier d’entendre lui-même les victimes pour emporter sa conviction sur les violences révélées.
- Un deux poids, deux mesures : pour des faits similaires ou paraissant parfois de « moindre » gravité, les sanctions prises à l’encontre des étudiants sont beaucoup plus sévères qu’à l’encontre des enseignants et ces derniers sont régulièrement relaxés alors que les étudiants ne le sont jamais.
L’AEF soulignait déjà dans son étude que « dans 30 % des cas de VSS, les enseignants-chercheurs sont relaxés (…) À titre de comparaison, entre 2009 et 2022, quand les auteurs de VSS sont des étudiants, aucune relaxe n’a été prononcée ».
En effet, alors que pour les 26 étudiants, le CNESER a maintenu la sanction dans 16 cas, il ne l’a fait que pour 2 maîtres de conférences (dont le maintien d’un blâme pour l’un) et pour un professeur certifié.
Sur les 5 professeurs des universités concernés, 3 ont été relaxés et 2 ont vu leur sanction diminuée en blâme. Le 3e maître de conférences ainsi que les deux professeurs agrégés ont eu leur sanction diminuée également et le seul enseignant vacataire a été relaxé.
Parmi les 10 étudiants pour qui la sanction n’a pas été maintenue, 4 d’entre eux ont obtenu une diminution de la sanction ; pour 3 étudiants, il s’agissait d’une saisine directe du CNESER qui, à chaque fois, a prononcé la sanction la plus lourde (exclusion de tout établissement pour plusieurs mois, années ou définitivement) ; un étudiant a vu sa sanction aggravée ; pour l’un, l’appel était sans objet et la seule étudiante sanctionnée a été relaxée par le CNESER car elle avait été injustement poursuivie alors qu’elle était en réalité victime de harcèlement sexuel d’un professeur.
Bonne lecture !
Laure Ignace
[1] Ce travail a été grandement facilité par le recensement exhaustif réalisé par Mathilde Valaize, salariée de l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), des décisions rendues en matière disciplinaire et publiées dans les bulletins officiels du CNESER sur la période concernée. Je la remercie vivement pour ce travail qui a grandement favorisé le mien.
[2] Christophe Devys depuis novembre 2023
[3] L’article R. 232–34 du Code de l’éducation encadre la demande de sursis à exécution devant le CNESER
[4] « CNESER disciplinaire : plus d’un tiers des enseignants mis en cause dans des affaires de VSS sont relaxés », AEF info - https://www.aefinfo.fr/depeche/687920-cneser-disciplinaire-plus-d-un-tiers-des-enseignants-mis-en-cause-dans-des-affaires-de-vss-sont-relaxes