Points clés
- En droit de la fonction publique, comme en droit du travail, il est prévu qu’un·e agent·e puisse être suspendu·e de ses fonctions de manière conservatoire, dans l’attente de l’issue de l’enquête interne ou disciplinaire engagée pour les faits qu’ielle est soupçonné·e d’avoir commis dans le cadre de son service.
- Il ne s’agit pas d’une sanction, mais, comme son nom l’indique, d’une mesure conservatoire, d’une durée d’un an maximum.
L’article L951‑4 du C. éduc. est clair : « Le ministre chargé de l’enseignement supérieur peut prononcer la suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur pour un temps qui n’excède pas un an, sans privation de traitement ».
Aucune dérogation n’est prévue par la loi pour que la suspension conservatoire puisse durer au delà d’un an, ce que la justice administrative rappelle régulièrement : “Il résulte des dispositions citées au point 1 de l’article L. 951–4 du code de l’éducation que la suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur ne peut être prononcée, sur le fondement de ces dispositions, pour un temps qui excède un an, quand bien même l’intéressé fait l’objet de poursuites disciplinaires ou de poursuites pénales” (CE, 4ème chambre, 26 octobre 2023, 457493).
En matière de violences sexistes et sexuelles, est préconisée la suspension de la personne mise en cause, le temps de l’enquête administrative et de la tenue de la section disciplinaire, afin de permettre aux victimes et témoins de s’exprimer plus librement et d’éviter tout risque de pressions sur celles et ceux-ci.
Le Conseil d’État a précisé les conditions dans lesquelles cet article s’applique aux enseignant·es-chercheur·es : « la suspension d’un professeur des universités, sur la base de ces dispositions, est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l’intérêt du service public universitaire ; elle ne peut être prononcée que lorsque les faits imputés à l’intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite des activités de l’intéressé au sein de l’établissement présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours » (CE, 4ème et 1ère chambres réunies, 18 juillet 2018, 418844, Publié)
Dans cet arrêt, le Conseil d’État a également eu l’occasion de se prononcer sur les éléments qui ont conduit la présidente de l’université à considérer les faits suffisamment « vraisemblables et graves » :
« il ressort des pièces du dossier que, par un courrier daté du 20 décembre 2017, Mme A…, maître de conférence affectée au sein du département dirigé par Monsieur B., a dénoncé des faits de “harcèlement moral et sexuel” qui auraient été commis à son encontre par Monsieur B. et demandé à la présidente de l’université de saisir la section disciplinaire de cette université ; qu’avant ce courrier, l’intéressée avait fait part de ces agissements lors d’un entretien avec la présidente de l’université, de même qu’à des collègues enseignant·es-chercheur·es, aux responsables du dispositif de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles de Paris VIII et au médecin du travail de l’université, qui en avaient alerté l’administration ; que, par suite, et même si la matérialité de ces faits est contestée par Monsieur B. la présidente de l’université Paris VIII Vincennes Saint-Denis a pu, en l’état de ces éléments portés alors à sa connaissance, estimer que les faits imputés à Monsieur B. revêtaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité ».
Ainsi, la présidente de l’université s’est appuyée sur un faisceau d’indices graves et concordants pour motiver la suspension du professeur des universités.
La jurisprudence administrative en matière disciplinaire montre que les enseignants cherchent régulièrement à faire annuler les arrêtés qui les suspendent provisoirement de leurs fonctions, sans grand succès.
En 2022, c’est un professeur de l’INALCO qui a saisi le Tribunal administratif puis le Conseil d’État d’un référé-suspension contre l’arrêté qui l’a suspendu de ses fonctions pour des agissements de harcèlement sexuel.
Or, pour obtenir gain de cause en référé-suspension, il est nécessaire de démontrer « l’urgence » à faire suspendre la décision administrative et « un doute sérieux sur la légalité » de l’arrêté.
Pour justifier de l’urgence à suspendre l’exécution de la mesure, le requérant se prévalait du fait « que la suspension prise à son encontre conduit à le priver de tout enseignement pendant deux années universitaires, pénalise les étudiants dont il est directeur de thèse ou de master, porte atteinte à sa réputation professionnelle et a des conséquences sur sa vie familiale et personnelle ».
Mais le Conseil d’État ne l’a pas suivi dans son argumentaire et a estimé la suspension conservatoire fondée : « l’arrêté litigieux ne prive pas le requérant de son traitement et a pour seule portée de l’écarter temporairement du service aux fins de préserver le bon fonctionnement de l’institut et de permettre l’établissement contradictoire des faits » (Conseil d’État, juge des référés, 14 avril 2022, 462585).
Sources
- Code de l’éducation
- Jurisprudence : Conseil d’Etat, 4ème et 1ère chambres réunies, 18 juillet 2018, 418844, Publié ; Conseil d’État, juge des référés, 14 avril 2022, 462585