https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/bo/2024/Hebdo45/ESRH2430620S
Voir CNESER 23 novembre 2022, n°1574 et CE, 27 mars 2024, n°472186
Le fait que la plainte pénale déposée par la victime ait fait l’objet d’une décision de non-lieu par un juge d’instruction n’a pas pour conséquence l’abandon des poursuites disciplinaires intentées à l’encontre du professeur mis en cause. L’autorité de la chose jugée au pénal sur le juge disciplinaire, s’attache uniquement aux faits constatés par le juge pénal.
Un jugement pénal qui acquitte/relaxe un accusé/un prévenu pour le motif que les faits ne sont pas établis (c’est à dire prouvés) ou qu’un doute subsiste sur la réalité des faits, n’a pas autorité de la chose jugée sur le juge disciplinaire qui peut retenir l’existence d’une faute concernant les mêmes faits.
Alors qu’avant la censure du Conseil d’État, le CNESER avait jugé qu’il appartenait au professeur de garder ses distances, en l’occurrence ici avec une étudiante qui était placée sous son autorité, et qu’il importait peu que le viol dénoncé par cette dernière soit retenu ou pas par le juge pénal, il change la focale : « la fragilité et le manque d’authenticité des dires de Madame (selon le rapport d’un expert psychologue) » justifie une réduction de la sanction de 3 ans à 1 an d’interdiction d’enseignement et de recherche !
Pourtant, le CNESER note qu’il a eu avec l’étudiante « un comportement déplacé, marqué par une relation de grande proximité, critiquée par ailleurs par les autres étudiants, et des échanges de messages constants et intimes » et qu’il est resté enfermé plusieurs heures avec elle dans sa chambre une nuit lors d’un chantier de fouilles… après avoir rappelé que ce professeur avait déjà été sanctionné en 2013 pour des faits similaires.
Le 4 juin 2019, la section disciplinaire du conseil académique de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avait sanctionné ce maître de conférences en archéologie d’une interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur pendant trois ans avec privation de la totalité du traitement.
Elle avait considéré que :
« la relation de subordination académique étudiant-enseignant n’a pas été respectée et s’est instaurée une relation de proximité qui a dépassé le strict cadre de la relation professionnelle ; (…) Monsieur X ne s’imposant pas des règles de conduite très strictes, n’a pas conservé la distance requise avec une étudiante placée sous son autorité (…) ».
Saisi sur appel du mis en cause, le CNESER a validé la sanction le 23 novembre 2022.
Saisi d’un pourvoi du mis en cause, le Conseil d’État a annulé la décision du CNESER notamment aux motifs que le CNESER n’avait pas suffisamment précisé ni analysé les faits reprochés à M. X, ne s’était pas prononcé sur la gravité des fautes, le tout étant donc insuffisamment motivé.
Voici les motivations in extenso de la dernière décision du CNESER, très clémente à nouveau avec les enseignants-chercheurs :
« Néanmoins, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge disciplinaire, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement d’acquittement tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou qu’un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, au juge disciplinaire d’apprécier si les faits, qui peuvent, d’ailleurs, être différents de ceux qu’avait connus le juge pénal, sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction. La circonstance que la plainte déposée par Madame Z ait fait l’objet d’une décision de non-lieu devenue définitive n’a donc pas, contrairement à ce que soutient Monsieur X, pour conséquence l’abandon des poursuites disciplinaires intentées à son encontre ;
Il n’est pas contesté que Monsieur X, reproduisant ainsi un comportement qu’il avait déjà adopté en 2013 et qui lui avait valu une sanction d’abaissement d’échelon, a eu avec l’une de ses étudiantes un comportement déplacé, marqué par une relation de grande proximité, critiquée par ailleurs par les autres étudiants, et des échanges de messages constants et intimes. Si les faits de viol ont été clairement écartés par le juge pénal, qui a par ailleurs mis en doute l’existence même de relations sexuelles, il n’en est pas moins constant que, dans la nuit du 13 au 14 février 2019, Monsieur X a accepté, à la demande de Madame Z, d’accueillir cette dernière dans sa chambre, qu’il s’y est enfermé avec cette jeune femme durant de longues heures, suscitant ainsi la réaction d’autres étudiants, et qu’il a accepté enfin qu’elle dorme avec lui dans son lit. Ces faits, qui révèlent une absence totale de prudence, contreviennent aux règles élémentaires de conduite d’un enseignant vis-à-vis de ses étudiants et méconnaissent les règles déontologiques applicables aux enseignants-chercheurs, sont constitutifs d’une faute disciplinaire et justifient, ainsi que l’a décidé la section disciplinaire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, que soit infligée à Monsieur X une sanction disciplinaire ;
Il apparaît néanmoins, au regard de la fragilité et du manque d’authenticité des dires de Madame Z, relevés par un expert psychologue au cours de l’enquête préliminaire et cités dans l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, éléments que ne connaissaient pas les juges de première instance, qu’en choisissant de prononcer à l’encontre de Monsieur X une interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement et de recherche durant trois ans avec privation de la totalité du traitement, la section disciplinaire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a retenu une sanction hors de proportion avec la faute reprochée à l’intéressé. Monsieur X est ainsi fondé à demander l’annulation de la décision rendue le 4 juin 2019 par la section disciplinaire du conseil académique de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ;
Il sera fait une plus juste appréciation de ces faits en infligeant à Monsieur X la sanction de l’interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur pendant un an, avec privation de la totalité de son traitement »